On s’imagine tout un tas de choses sur les relations épistolaires. C’est suranné, ça fait rêver. Ca réveille le bovarysme qui sommeille en chacune de nous. Mais l’occasion de jouer à ce jeu ne se présente pas si souvent. Quand elle advient, on tente donc d’exploiter le filon jusqu’au bout, quitte à être passablement déçue. Jugez plutôt.
Ce matin, je suis assise comme tous les lundis dans le fauteuil à roulettes qui sert de réceptacle
aux huit heures d’ennui quotidien pour lesquelles
on me rétribue. Il est tout juste 10h13 quand soudain, alors que je me prépare à faire infuser un « Lipton jasmin » pour m’occuper le bec à défaut de savoir comment m’occuper l’esprit, je reçois un SMS aussi étrange qu’inespéré :
- T en nuisette ?
Le numéro m’est inconnu, mais le verbe « T » me rappelle vaguement les borborygmes qui défilent en rang d’oignons sur le mur Facebook de
ma sœur adolescente.
Mon premier réflexe est toujours la colère : elle est incrustée dans mon caractère comme le bernard-l’hermite s’incruste dans une coquille qui ne lui a rien demandé. Je réponds tout à trac :
- erreur de destinataire, patate !
L’adonis n’est pas farouche. Il est même plutôt poli, quoique dysorthographique :
- Dsl. T ki ? (désolé, qui es-tu ?) ânonne-t-il.
- Luc, je suis ton père ! lui réponds-je. La saga Star Wars ayant été diffusée 1 345 987 fois au cinéma et à la télévision. J’imagine qu’il a vu au moins l’un des six épisodes.
- Je suis Mickaël, ton fils, me fait-il savoir, non sans humour.
J’allais écrire « LOL », voire « X.PTDR » pour être sûre de demeurer au bon niveau lorsque je me ravise et le questionne :
- tu voulais joindre qui, exactement ?
- Julie, pkoi ? (Julie, pourquoi ?)
- Elle t’aura donné un faux numéro. Moi c’est Coralie, m’aventuré-je.
- Je croyais que tt Luc… (je croyais que tu étais Luc) s’exclame le jeune inconnu, qui ne perd pas le Nord, me dis-je in petto.
- C’était une blague. Référence à la Guerre des étoiles. Tu connais pas Dark Vador ??? le tancé-je à demi.
- Nn dsl pkoi ? (non désolé pourquoi ?) questionne-t-il alors qu’il se fiche éperdument de la réponse si j’en juge par ce qui suit : « T habiller Coralie. G mis un boxer et toi ? Tu ve une photo en boxer ? »
Là, d’un coup, je sens le bovarysme m’abandonner cependant que mon Cyrano entre dans le vif de son sujet. J’ai l’impression subreptice que ma love-story épistolaire ne survivra pas au printemps. Je réponds poliment malgré tout, parce que bon. Maintenant, on est presque intime, alors…
- Non merci.
- Tu préfères voir des seins ou une…. ? questionne-t-il, afin de s’assurer adroitement et l’air de rien qu’il a bien affaire à Coralie et non à Luc.
- ou une quoi ?
- Tu a déjà vu un XXXXX d’homme ?
Bon, ça tourne à l’aigre. Je comprends que
cet éphèbe n’est pas prêt de me proposer de m’enlever sur un cheval blanc pour m’emmener dîner aux chandelles au MacDo de
la Porte de Pantin. Je m’enquiers :
- Tu as quel âge
- 25 a. Toi ? (25 ans, et toi ?)
- Je ne te crois pas : tu as quinze ans !
- 25a. Pkoi, tu es mineure toi ?
Je réfléchis. Le plus simple serait peut-être de lui dire que j’ai 53 ans. Mais il risque ne pas me croire. Autre possibilité : lui laisser entendre qu’il est à la limite de la légalité. Je tente la seconde option :
- oui
- T kel age ?
- 13 ans
Ce qui nous fait théoriquement 12 ans d’écart. Là, je devrais avoir la paix.
- T a de la poitrine ??
Non d’une pipe ! (si je puis me permettre). J’aurais mieux fait de me trouver un âge plus adéquat !
- Non, lui réponds-je froidement.
Mais il n’en croit mot, et tient à se faire préciser à quel degré de « non » je me situe exactement :
- tu met des soutif ?
- Non pkoi fer ? (non, pourquoi faire : ça y est, je suis contaminée)
- Mais tu as des poil sur le kor ? s’inquiète-t-il.
- Uniquement sur le nez !
Je subodore que tout est fini car Mickaël l’aura compris : je suis un yéti de 13 ans couverte de poils sur le groin. Rien n’est possible entre nous. Je vais enfin pouvoir faire infuser mon Lipton…
- NON ! textoté-je ulcérée.
- Tu mé des strings ? outrepasse-t-il.
- Oui, parfois, sur la tête !
- MDR !! (mort de rire)
L’affaire n’est pas gagnée. Je vais devoir employer les grands moyens pour décourager l’importun. Peut-être même vais-je être contrainte de lui briser le cœur. Tant pis, je tente le tout pour le tout, et lui pose cette question, qui peut sonner le glas des relations les plus prometteuses :
- tu es de droite ou de gauche ?
- je ss de rien. Juste une vie meilleur et toi ?
- Mais pour qui as-tu voté à la présidentielle ? Je ne sais pas pourquoi mais je sens en toi le radical valoisien contrarié ayant voté Sarkozy par défaut.
- G voter blanc.
Immédiatement, le tonnerre de la passion naissante se tut pour laisser place à un silence cotonneux. Mon indomptable Alcibiade avait basculé sur Canal + pour mater
un film X.
Je me demande bien, d’ailleurs, à quoi peut ressembler un porno radical valoisien. Une idée, cher lecteur ?
En tout cas, je n’eus plus jamais de nouvelle du talentueux Mickaël.
Voilà. C'est tout pour aujourd'hui.
Sinon, quand je ne sniffe pas de la colle, je blogue plutôt sur l'arène nue.